Mourir est tout au plus l'antonyme de naître, L'antonyme de vivre reste à trouver.
13 janvier 2006.
Une date qui sonne. Résonne.
Comme une petite mort pour Augusto.
En un claquement de doigt tout s’efface autour de lui. Le vide se fait. Plus rien n’existe. Le sol se dérobe sous ses pieds. Il se retrouve happé par le néant. Seul. Abandonné. Amadeo est mort. Et avec sa mort il emporte la plus belle part d’Augusto.
Plus rien ne sera plus pareil. Augusto garde en lui. Ses cris. Ses douleurs. Son visage s’habille d’un masque dont lui seul à le contrôle. Ses poings se serrent. Son cœur se verrouille. Son âme se fige. La haine le ravage. Et bien d’avantage quand il apprend pour
Chiara. La belle a disparu pendant quatre ans. Et elle revient pour faire naitre un chaos plus grand que celui que son absence a causé.
Le destin ne pouvait pas être plus cruel.Alors Augusto s’isole. Loin de tout. Loin des siens. Il se retrouve seul avec lui-même pour la première fois de sa vie. L’alcool ce soir là coule à flot dans ses veines. Remplaçant peu à peu son sang. Ses yeux se noient dans des volutes de cigarette. Il veut oublier. Et c’est dans les bras d’un homme qu’il se perd pour la première fois. Recherchant la sécurité que la mort de son jumeau lui a arraché avec violence et sans ménagement.
Il ne sera plus jamais pareil. 13 janvier 2007.
Première année affrontée.
Douze mois sans son frère. Douze mois de calvaire. Douze mois à lutter entre l’envie de vivre et celle de mourir.
Douze mois. Putain ! Que c’est long et pourtant c’est si court. Le temps de tourner la page d’un livre et un nouveau chapitre s’écrit. Le temps de voir naitre un être alors qu’un autre s’éteint. Douze mois avec toujours les mêmes douleurs. Avec toujours la même rancœur. Et un nom qui persiste et qui fait mal
Chiara. Même si le nom d’Amadeo reste encore plus douloureux.
13 janvier 2008. 13 janvier 2009. 13 janvier 2010.
Et les années s’enchainent. A toute vitesse. Bousculant les gens. Ballotant les vies. Rires et larmes se mêlent.
Mais le vide persiste. Augusto est là souriant. Les embruns de la mer caressent son visage. Ses yeux sont fermés. Son visage est apaisé. Son cœur toujours verrouillé. A ses côtés une femme. Ou un homme. Peut importe. Des paquets de cigarette vides. Des cadavres de bouteilles. Le bel italien ne les compte plus. Ce sont juste les signes des années qui se sont écoulées. Comme des grains de sable entre des doigts. Des années sans que personne ne voit vraiment tout ce que cache son regard éteint.
Mais qui regarde au-delà de l’âme ? Le diable peut être. Parce que Dieu il est bien loin pour Augusto.
13 janvier 2011.
Et une année de plus à ajouter à sa vie dissolue. A ses matins chagrins. A ses nuits de débauches. A ces parfums mêlés. Entrecroisés. A ses rires forcés. Qui cachent ses larmes. A ce vide permanent que rien ne comble. Et qui se creuse à chaque 13 janvier.
Et puis il y a toujours
Chiara. Cette présence qu’il tolère parce qu’elle reste sa grande sœur. Celle qu’il n’ose pas vraiment regarder en face. Celle qui est là cause de sa souffrance mais qu’il aime et qu’il protège sans vraiment en prendre conscience.
Chiara est autant affectée par le mort d’Amadeo. Mais ça Augusto il ne le voit pas. Il voit juste sa peine et oublie qu’il n’est pas le seul a souffrir de cette mort tragique.
13 janvier 2012. 13 janvier 2013. 13 janvier 2014. 13 janvier 2015.
Et s’il arrêtait de compter les anées. S’il arrêtait de respirer.
Non c’est impossible pour lui. D’arrêter de compter.
Parce qu’arrêter de respirer il le fait chaque nuit quand son boulot est fini. Quand il ferme l’affaire familiale qui le rend si fier. Quand le restaurateur quitte son tablier et qu’il franchit le pas de cet endroit qui le lie encore avec tant de force à Amadeo. A son enfance. Il arrête de respirer quand il arpente les rues de Naples ses mains dans les poches. Il déambule comme une ombre à la recherche d’un autre. D’une autre. Parfois la colère l’emporte. Sous le coup de l’alcool il perd pied.
Et tout s’enchaine et part en vrille. Laissant sur son corps des marques qu’il n’arrive plus à effacer. Mais au petit matin une fois qu’il retrouve le restaurant de ses parents. Dans ce lieu emprunt de leurs souvenirs d’enfant. Augusto s’apaise. Et il redevient l’homme qu’il est. Il redevient l'homme calme, patient, attentionné.
Cachant l'enfant perdu qu'aucun point de repère ne ramène au port. 13 janvier 2016.
10 ans.
Augusto reste là à contempler le vide. Ou plutôt l’endroit ou dix ans plus tôt son frère est tombé. Touché par une balle perdue lors d’une fusillade entre deux bandes rivales.
Une balle perdue. Pourquoi c’est elle perdue dans le corps d’Amadeo ? Le bel italien se rejoue la scène sans vraiment en connaitre les tenants et les aboutissants. Enfin si. Son frère étendu sur l’asphalte. Une marre de sang inondant la rue. Il a envie de hurler mais rien ne sort.
Dix ans après c’est toujours aussi dur. Cela lui fait toujours aussi mal. Il donnerait n’importe quoi pour entendre encore une fois la voix de son frère. Pour entendre son rire.
Putain depuis ce jour sa vie ne ressemble à plus rien. Même s'il donne le change. Même s’il reste fort. Tout ceci n’’est qu’une vaste fumisterie. Il doit bien rire de là haut Amadeo. Il doit en pleurer aussi.
En attendant c’est Augusto qui bousille sa vie. L’alcool. Les clopes. Le sexe. Le refus d’aimer. Le refus de voir la peine dans les yeux des gens qu’ils l’aiment. Il joue avec le feu depuis dix ans. Il joue avec le feu et avec sa vie. Mais il s’en moque. Parce qu’il lui est impossible de faire autrement.
Impossible de vivre vraiment avec ce trou béant au milieu de la poitrine. Impossible de vivre vraiment avec un cœur à moitié mort. Impossible de vivre vraiment avec une âme à moitié vide. Impossible de vivre quand l’autre moitié de lui. La meilleure est bousillée. Morte. Enterrée. Et il se met à pleurer comme un gamin désemparé. Un gamin a qui on a volé son innocence. Un gamin qui ne sait plus ce que vivre veut dire. Et pourtant il a tellement envie de vivre que ça l'étouffe parfois.
13 janvier 2017.
Dans quelques semaines un autre 13 janvier effacera celui là.
Et puis les jours s’enchaineront avec leurs lots d’insouciance et d’insolence.
Mais en attendant il faut finir l’année.Augusto est toujours aussi perturbé par la mort de son frère. Il est tombé dans un engrenage infernal dont il a du mal à sortir.
Un cercle vicieux. Un enfer décadent. Un puits sans fond. Il est conscient qu’il coule chaque jour d’avantage. S’enfonçant dans l’ombre qui l’enveloppe avec plus d’amour au fil des jours. Douce comme une caresse maléfique.
Pourtant l’ange est là au matin sans jamais déroger à sa tâche. Mais le démon devient de plus en plus féroce quand la nuit s’empare du ciel d’Italie.
Il essaie de se battre mais il n’utilise pas les bonnes armes. En a-t-il vraiment envie ?
Il espère que sa famille et notamment sa grande sœur
Chiara verra dans son regard son appel au secours. Mais n’est-il pas trop tard pour sauver son âme ? De plus il a si souvent refusé le dialogue. Presque repoussé, la rendant coupable de la mort de son jumeau.
Et il y a
Virginia. Mais toutes ses années de souffrance n’ont-elles pas gâchées l’amour fraternel ?
N'est-il pas trop tard pour les trois enfants Rinaldi ? Trop tard pour renouer les liens et faire table rase du passé ? Le seul qui pourrait le sauver ne fait plus partir du monde des vivants. Et ceux depuis bien longtemps.
De toute façon c’est sa mort qu’il l’a emporté dans ce labyrinthe dont il ne trouve pas l’issue. Mais existe-t-elle ? Ou veut-il qu’elle existe ?
Augusto sait qu’il doit se battre. Qu’il doit livrer une bataille.
La plus dure. La plus rude. La première et la dernière. Mais vu qu’il est son propre ennemi, va-t-il pouvoir se sauver ?
Pour vivre enfin il doit couper ce lien qui le retient depuis trop longtemps à un fantôme. Mais l’épreuve reste difficile et délicate. Douloureuse aussi et radicale.
L’amour pourrait lui apporter le soutien pour gagner ce combat. Mais il l’a si souvent repoussé ou refuser.
Qu’il soit venu d’une femme. D’un homme. D’une sœur. D’un père. D’une mère. Alors là. Seul face à la glace. Face à l’angoisse. Augusto doit choisir entre vivre sans Amadeo ou mourir pour rejoindre enfin son jumeau.
Douloureux dilemme. Seule délivrance pour n’être que lui et plus l'ombre de lui-même.